mardi, mars 06, 2007

Vers une alliance de la gauche Tunisienne ?

Depuis plus d’un an une nouvelle alliance est en train de se dessiner entre le Mouvement Ettajdid et des militants indépendants issus de la gauche tunisienne.
Au moment où ce processus commence à prendre de l’ampleur, nous avons voulu faire le point avec Sana Ben Achour, universitaire et figure de proue du mouvement associatif tunisien et l’une des principales initiatrices de cette nouvelle expérience unitaire de la gauche tunisienne.


Z.K: Quel bilan faites-vous de cette démarche commune entre le Mouvement Ettajdid et les indépendants de gauche ?

Sana Ben Achour: Il est trop tôt pour faire un bilan. Nous comptons le faire collectivement dans les semaines qui suivent. Je peux vous livrer cependant mes premières impressions. A l’occasion des élections présidentielle et législatives de 2004, il y a eu une alliance autour du Mouvement Ettajdid avec un certain nombre de personnalités indépendantes. L’objectif était de présenter un véritable candidat de l’opposition à la présidentielle, en l’occurrence Mohamed Ali Halouani.

On a pensé, à l’époque, qu’il fallait marquer notre distance avec le pouvoir tout en mettant à profit l’opportunité offerte par le système constitutionnel. Cela a donné l’expérience de l’Initiative démocratique. Les indépendants, dont je suis, ont pratiqué Ettajdid. Je peux dire aujourd’hui, en toute honnêteté, que cela était positif. On a pu, ensemble, recréer l’espoir. Ce processus a induit un rapport de confiance entre ce parti politique et les indépendants. Mais après les élections de 2004 on a pris conscience de l’aspect circonstanciel de ce partenariat. Les indépendants ne pouvaient plus investir le monde associatif en le surdéterminant par des objectifs politiques. Nous voulions engager une action politique organisée. D’où l’idée de ce partenariat politique avec le parti Ettajdid.
Mais un certain nombre de ces indépendants, dont vous-même, se sont investis dans ce que l’on a appelé le Mouvement du 18 octobre 2005 (la grève de la faim initiée par un certain nombre de personnalités politiques et associatives).

Absolument. Pour moi il y a eu une accumulation qui a commencé avec la présidentielle de 2004. On peut même remonter plus loin avec l’expérience des « 150 » en 1989. On a été nombreux à soutenir la grève de la faim du 18 octobre, sauf que cela était une action ponctuelle. Après il y a eu une décantation politique. Certains ont préféré continuer dans une sorte d’alliance avec des sensibilités islamisantes. D’autres, dont moi-même, ont soutenu la grève de la faim mais pas l’idée de ce type d’alliance. Je pense qu’il est nécessaire d’inscrire l’action politique de l’opposition dans la diversité et la pluralité. Il faut qu’on sorte définitivement de cette idée de l’un et de l’unique.

Les discussions et les contacts entre les militants et dirigeants d’Ettajdid et les indépendants ne se sont jamais interrompus. On a convenu ensemble, depuis près d’un an, qu’Ettajdid retardera son congrès afin qu’on élabore ensemble un véritable élargissement de ce parti, d’où l’idée de faire un congrès sous le mot d’ordre : un parti ouvert, pluraliste, progressiste et démocratique.

Est-ce que cela a débouché sur un programme politique ?

Pas pour l’instant. Ce qui nous a intéressé dans cette démarche, nous les indépendants, avec nos partenaires d’Ettajdid, c’est que l’on change la manière de faire…

Cela veut dire quoi exactement ?

On ne peut pas aller directement à la tenue du congrès, à la mise en place d’une plate-forme et à l’élaboration d’un programme. Il faut au préalable informer les gens de cette idée et les écouter. On veut rassembler et non embrigader. Pour nous il est fondamental que ce parti ait un ancrage social sérieux. Les coquilles vides ne nous intéressent pas. Beaucoup de militants démocrates ont connu des expériences malheureuses et décevantes. Résultat : ils ont abandonné le champ politique. Notre démarche tend à leur redonner espoir.

Quel est le nombre des indépendants qui se sont intéressés à votre démarche ?


Quelques centaines. Mais on ne s’est pas contenté de Tunis. On a étendu cette dynamique à l’intérieur du pays. On a alterné entre rencontres publiques et privées, selon la disponibilité des espaces publics. L’encourageant, dans tout cela, est que les personnes, sceptiques au départ, se sont rapprochées de nous, même si elles n’ont pas encore envie de s’impliquer immédiatement dans cette action.

Comment le prochain congrès d’Ettajdid va-t-il intégrer concrètement ce partenariat ?


On a mis en place une commission, au mois de septembre 2006, pour préparer le contenu intellectuel et politique de la grande conférence qu’on a organisée les 17 et 18 février 2007. Cette commission est une étape intermédiaire entre les premières discussions d’il y a un an et le congrès.

Cette commission a produit trois textes :

—les fondements intellectuels et politiques du projet,
—l’aspect organisationnel du parti,
—le partenariat avec Ettajdid pour la préparation du congrès.
Ces textes sont proposés à la discussion afin qu’on puisse dégager une synthèse.

Qui vous fait croire que ce qui a échoué hier va réussir aujourd’hui ?

Je suis optimiste tout en étant lucide. On a pu rassembler un nombre relativement important de militants indépendants qui fondent leurs espoirs sur ce projet. Nous avons tous l’ambition de créer un véritable pôle politique moderne. Je pensais qu’on pouvait rassembler des milliers de militants pour la conférence du 17 février, or je me rends compte qu’il y a encore beaucoup de sceptiques. Ce que nous faisons aujourd’hui est important, mais le plus important et le plus difficile reste à venir.

Comment allez-vous préparer ce congrès ?


Dans un partenariat total entre le Mouvement Ettajdid et les militants indépendants. Il faut savoir que le congrès sera ouvert à tous ceux qui se sentent concernés par ce projet. Il y aura une commission large et mixte de préparation du congrès. Ettajdid désignera, selon ses structures, ses représentants dans cette commission. Quant aux indépendants, il y a aura encore deux réunions de discussions sur le projet et les manières de le concrétiser, ensuite nous désignerons nos représentants soit par consensus, ce qui serait la meilleure solution pour garantir la représentation de toutes les sensibilités, soit en passant par voie élective.

Cette commission mixte comprend quarante membres. Elle sera l’organe délibérant qui jouit de toutes les attributions pour l’organisation du congrès. Il est prévu aussi qu’un comité exécutif, toujours paritaire, émane de cette commission afin d’assumer le suivi des travaux préparatoires pour la tenue du congrès.

Est-ce que la date du congrès a été fixée ?

Pas encore. Mais il semble qu’il y a un large consensus sur la date du 25 juillet 2007, qui marquera le cinquantième anniversaire de la proclamation de la République.

Quelle est l’identité de ce parti en gestation ?


On se veut un mouvement progressiste et démocratique. Le progressisme se veut économique, social et culturel…

C’est-à-dire que vous êtes contre l’économie de marché ?

Je pense qu’on est tous pour l’économie de marché, probablement pas de la même manière. Personne ne croit plus au communisme ou au socialisme des années 1950. Par contre, nous croyons au service public et à la solidarité sociale.

Vous vous sentez proche de la social-démocratie ?

Absolument. Si la mondialisation et l’économie de marché peuvent apporter à un pays de la richesse et du confort matériel, elles aggravent aussi les inégalités sociales. C’est pourquoi il faut que l’Etat puisse jouer son rôle de régulateur. A côté de cela nous sommes pour le progressisme social, c’est-à-dire l’égalité entre les sexes, l’égalité des chances… Le principe d’égalité est affirmé dans toutes ses déclinaisons. Enfin le progressisme culturel.

C’est-à-dire…

Nous sommes pour une vision non religieuse du politique.

Laïque ?


Oui. Seulement ce mot dérange un peu dans notre pays. Les gens ont l’impression que la laïcité veut dire déracinement culturel. Pour nous la laïcité ne concerne que le domaine politique. On ne peut pas faire rentrer dans le politique des considérations d’ordre religieux. La démocratie est une affaire de délibération terrestre.

Est-ce que vous allez afficher clairement le choix de la laïcité ?

C’est à voir. On utilisera peut-être les concepts tels que la séparation entre le religieux et le politique, le droit positif, le rationalisme… On est dans le monde de la communication et on n’a pas le droit de faire peur aux gens.
On est en train de construire une troisième voie. Comment afficher notre opposition au pouvoir tout en affirmant notre différence avec le Mouvement du 18 octobre. On est, en quelque sorte, entre le 7 Novembre et le 18 octobre.

En d’autres termes ce n’est pas parce qu’on a peur des islamistes qu’on va se jeter dans les bras du pouvoir ou parce qu’on veut s’opposer au pouvoir qu’on va se jeter dans les bras des islamistes. La Tunisie a une histoire riche. Nous sommes les enfants du Code du Statut Personnel et cela n’est pas peu.
Nous ne participons pas à cette nouvelle initiative seulement pour témoigner. Nous avons l’ambition de transformer les rapports de forces dans notre société.

Justement, on vous reproche de réunir les quinquagénaires et plus, alors que la jeunesse est absente de vos débats…

Je constate cela avec beaucoup d’amertume. Comment voulez-vous que la jeunesse nous connaisse, alors que j’ai milité toute ma vie dans mon pays et personne ne m’a jamais vue à la télévision nationale. Et ce n’est pas uniquement mon cas. Mais je suis optimiste. Il y a des petits groupes de jeunes qui commencent à s’intéresser à ce que nous faisons.

Je voudrais insister ici sur le fait qu’il est faux de prétendre que la jeunesse tunisienne se désintéresse de la chose publique. La jeunesse est partout : dans la création artistique, dans les associations culturelles… Peut-être que nous ne savons pas lui parler. Notre objectif premier, après le congrès de l’été, est d’aller à sa rencontre, de l’écouter et de changer, pourquoi pas, notre manière de lui parler.

Est-ce que le Mouvement Ettajdid changera de nom pour exprimer ce renouveau ?

Cela se discute. L’essentiel est que nous changions nos modes d’actions et que nous devenions un véritable rassemblement démocratique qui pèse sur les choix fondamentaux de la société tunisienne.

Zyed Krichen
(Source : « Réalités » (Magazine hebdomadaire – Tunis), N° 1105 du 1er mars 2007)

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Ca serait vraiment une bonne nouvelle si le projet aboutissait. J'apprécie beaucoup la vision laïque du domaine politique, mais regrette cependant le manque de courage à vouloir l'affrimer de manière forte et directe...
Je pense que s'il y a un changement après le changement, ce pourrait bien être celui là :-)

11 commentaires:

Roumi a dit…

@Xander : voici le premier commentaire sur cette note... et peut être aussi le dernier ??!! C'est effrayant de voir si peu de réactions.

Bon je trouve que la démarche décrite par cette universitaire est très intéressante et j'espère que cela contribuera, avec d'autres choses, à ramener les Tunisiens vers une citoyenneté active.

Pour ce qui est de la laïcité, c'est évidemment une bonne chose de dissocier autant que possible ces deux sphères, rappelant que la religion est de l'ordre du privé, de l'individuel, et que la confusion des deux sphères conduit parfois à l'instrumentalisation de la religion par le politique, ce qui n'est guère satisfaisant pour ceux qui sont attachés à la religion.

Il est vrai que ce principe de laïcité pourrait être affirmé plus clairement mais le souci de ne pas heurter frontalement les gens est certainement très justifié. Cette initiative essaie prioritairement de contribuer à la (re)construction de la pluralité démocratique ; c'est cela la priorité absolue... si on se met à trop parler de laïcité tout de suite, on commence déjà par braquer des gens alors qu'il faut commencer par tendre la main à tous ceux qui sont sensibles à l'objectif principal.

littl jo a dit…

merci pour cet article sur lequel je suis tombé par hasard. Il lève le voile sur toute une activité politique qui, bien que bel et bien présente et active, n'est sans doute pas assez médiatisée, (on se demande bien pourquoi :p)notamment comme le souligne S. Ben Achour, auprès des jeunes tunisiens, à croire que tout est mis en oeuve pour qu'on s'intéresse à tout, sauf à la politique.
Je reste quand même scpetique quand à l'éventuel poids politique que pourait avoir ce mouvement. Quand on pense "opposition", on pense tout de suite à "islamisme", et même si ça n'est pas le cas, tout les partis politiques d'opposition, malgré leurs divergences, m'ont toujours semblé unis,dans le cadre de cette même opposition.
Quand à la laïcité, tu crois pas que c un peu normal d'avoir une sorte de réserve, vu que ça risque de beaucoup choquer, dans une société arabo musulmane ou le débat sur des questions comme le voile fait rage, et que ça risque de se transformer en argument en défaveur de ce mouvement?

Anonyme a dit…

ceci n'est que de la publicité mensongère.
On ne fait que faire croire aux gens que la démocratie existe.

Xander a dit…

@Roumi : En effet, c'est assez inquiétant de voir le peu de réactions que cet article a crée...
Je pense de plus en plus que les bloggeurs sont plus attirés par les sujets polémiques et la polémique elle même qui, par construction, n'est nullement constructive, que par le véritable débat politique démocratique... Qu'est ce qu'on peut y faire ? Pas grand chose !

@littl jo: En effet, je pense comme toi qu'il y a des efforts à faire au niveau de la participation de la jeunesse à la polique. Le desintêret de celle ci est la conséquence directe d'une politique voulue par l'état de créer des jeunes totalement apolitiques. Il n'y a qu'à voir les politiciens au pouvoir : Tous des vieux ! Et ceci est bien grave, parce qu'il n'y a personne pour prendre la relève!
Il faut aujourd'hui que la jeunesse bouge et s'implique dans le débat démocratique pour assurer tout simeplement son avenir, c'est une question de survie.

rasta_raf a dit…

Bah comme ils veulent "aller" vers les jeunes tunisiens, lleurs demander ce qu'ils veulent, moi j'aimerais bien demander à ses messieurs et ses dames quels est leur programme économique ?

C'est bien beau la démocratie, on aura un peu d'adrénaline (s'il n'y a pas de fraudes ...), les joies des débats passionées, les luttes partisanes, un peu plsu de bla bla dans le metro, mais pour quelle finalité finalement ?

Je demande aux condidats de présenter une alternative économique au modèle qui est déja en place, et qui quoi que l'on dise fonctionne assez bien ...

Si cette requete est entendue, les jeunes en votant pour ces militants n'auront pas l'impression de donner juste à quelques bourgeois l'opportunité de faire joujou avec le pouvoir, mais de contribuer à un changement positif et constructif de la Tunisie. Reste que pour l'instant je ne vois pas de programme économique clair ...

Déja y a t il un site web officiel d'ettajdid ?
Ils sont semble t il encore à l'air du papier, et leur journal sort avec parcémonie ...

Voila tout cela pour dire qu'il ne suffit pas de se battre pour avoir le pouvoir, il faut savoir quoi en faire aprés.

rasta_raf a dit…

... l'ére .. [excusez la faute :(]

Xander a dit…

@Rasta : Et ben non, ils n'ont pas de site. Mais à quoi servirait il s'il est censuré comme celui du PDP (reconnu)..
De plus, un site, ca coute des sous.

Pour ce qui est de leur journal (qui est de très bonne qualité), le fait qu'il soit si peu tiré est du à une question purement financière. En effet, tirer un journal coute des sous et les partis politiques (hors RCD) n'ont pas le droit de faire de la pub dans leurs colonnes, il n'ont pas non plus le droit d'utiliser le papier subventionné, ce qui fait qu'ils ne peuvent pas imprimer beaucoup. N'oublions pas non plus que rares sont les tunisiens qui lisent...

Pour ce qui est du programme économique, je ne sais pas trop quelles sont leurs intentions, mais je pense qu'il est trop tot en tout cas pour une quelconque proposition. Aujourd'hui, il faut mobiliser les gens et les jeunes en parlant du mouvement autour de soit en l'absence de toute couverture médiatique.

OthRez a dit…

D'accord avec le frangin pr le programme économique .. et vu comment vont les choses, je pense kon peut avoir bdcp didées pr l'économie en ce moment.
Tjrs en ski concerne un programme économique, une meilleure transparence et une plus grande liberté d'expression pourrait aider les différents partis politiques à constituer leur programme politique justement. Gouverner un pays n'est pas chose facile, ça prend du temps pour avoir un parti "capabli" mais il faut y croire, juste au nom de l'alternance et du pluralisme politique.
Voila.

Sinon, remarque 3el Hamech, l'étau s'est légemerment desséré autour des forces de gauche dernièrement en Tunisie, comme le montre la levée de la censure sur la piece "Corps Otages", la publication de cette interview dans réalités, certaines émissions télé, etc ..
Tout me pousse à croire ke ce nest kun changement circonstantiel. Scepticisme oblige.

Anonyme a dit…

Ce sont des colloborationnistes de la dictature, des résidus de fausses couches staliniennes, aucune vision d'avenir, illégitimes et antidémocratiques.Biju

Anonyme a dit…

la laîcité est trés importante en Tunisie et je soutiens fermement ce principe

Anonyme a dit…

Ce sont les memes marxistes qui ont collabore avec Ben Ali pour ecraser les islamistes avec toute impunites, toute en le justifiant au nom de la Liberte et des droits. Apres, le meme tyran leur a tire dessus. En effet, ce sont des residus Stalliniens marxistes, pas democrates, ils cherchent a imposer un dictate a tout prix.
Je me demande pourquoi tous les marxistes Tunisiens sont de la ville de Sfax, on dirais Belgrade cette ville. En plus, on n'a pas honte d'etre extreme gauche marxiste aujourd'hui, c'est ca l'avenir?!!