jeudi, décembre 29, 2011

Steve Jobs au delà du mythe, l’homme


L’unique biographie autorisée de Steve Jobs, sortie quelques temps après sa mort et signée Walter Isaacson, dresse un portrait sans concession de l’homme qui se cache derrière le mythe d’Apple. Une biographie écrite suite à plus de 40 entretiens entre l’écrivain et son sujet. Steve Jobs , pour ce qu’il voulait être un témoignage fidèle de l’homme qu’il était, a donné une liberté totale à son biographe et n’a pas cherché à contrôler ce qui était écrit.

On découvre ainsi tout au long de ce dense volume de plus de 600 pages un homme au caractère compliqué, difficile et torturé. Un homme aux blessures d’enfance profondes qui ont conditionné toute sa personnalité et façonné l’immense capitaine d’industrie qu’il est devenu.

La vie de Steve Jobs se confond avec celle de la Silicon Valley et de toute l’industrie High Tech. Sa vie est aussi intimement liée à celle de ses entreprises Apple et Pixar. On ne s’étonnera donc pas de constater les longues digressions que l’auteur s’autorise à propos des pérégrinations de ces deux géantes.

Ce livre a donc le double intérêt pour la petite et la Grande Histoire. La petite est celle de la vie de Steve Jobs dans toute sa complexité. La Grande est celle de tout cet écosystème d’hommes et de femmes qui ont fait l’industrie high-tech d’aujourd’hui.

Une lecture sans doute indispensable pour tout « fan » d’Apple et intéressante pour tout curieux de l’informatique et de la vie des entreprises de haute technologie.

mercredi, novembre 23, 2011

Qu’est ce que l'identité tunisienne ?


Le débat sur l’identité nationale a occupé une grande partie du débat pré-électoral en Tunisie. Ainsi, pour beaucoup d’électeurs, la différence entre les partis se jaugeait à l’aune de leur attachement plus ou moins affiché à la supposée « identité arabo-musulmane » de la Tunisie. Qualifier ce débat d’inutile comme l’ont fait certains serait une erreur ; en effet, si la question se pose avec autan d’insistance, c’est que le besoin de réponse est réel. L’ampleur prise par le débat pourrait s’expliquer par deux raisons sans doute non exclusives: la première est la profondeur de la crise identitaire ressentie par une partie de la population, la deuxième est le besoin de retrouver des repères à un moment où ils sont le plus perturbés suite à la révolution et à l’effervescence intellectuelle qui l’a suivie et où tout pouvait être remis en cause et contesté.
Je ne m’attarderai cependant pas ici sur les raisons du débat, mais essayerai d’exprimer mon opinion sur cette identité de la Tunisie.

Qu’est ce que l’identité d’une nation ?
L’identité, au sens général, est l’ensemble de caractéristiques qui permettent de déterminer une chose et de la différentier d’une autre.
L’identité d’une nation serait donc l’ensemble des caractéristiques qui font qu’une nation est une et non une autre. Ces caractéristiques sont très nombreuses dont la plus évident serait le territoire et le drapeau ; viennent ensuite les caractéristiques culturelles, telles que la langue, la religion, l’histoire, l’architecture, les traditions, les coutumes… Mêmes certains phénomènes sociaux permettent de caractériser cette identité tels que la cuisine, le chant, les contes populaires, les superstitions…
L’identité d’une nation n’est donc pas un concept abstrait et vide de sens, elle est intiment liée au peuple qui la crée, qui l’entretien et qui la fait évoluer.

Une pseudo-définition réductrice
Si l’identité rêvait tant de formes et tant de manifestations, comment peut-on alors prétendre défendre l’identité tunisienne en la réduisant à une supposée identité arabo musulmane ? Identité, finalement, factice ne revêtant aucune réalité, car la question la plus importante à se poser est : que veut-on dire par arabo-musulman ?
Par « arabe », désigne t-on la langue arabe ou l’ethnie originaire de la péninsule arabique ? La question mérite d’être posée.
En effet, si c’est l’ethnie qui est désignée, la Tunisie est loin d’être arabe, étant formée en grande majorité de berbères. Cette identité berbère que Bourguiba a tant combattu sur l’autel de « l’unification » de la nation, bien qu’en peine, est bien réelle.
Et si c’est la langue qu’est on désigne, alors de quel dialecte s’agit-il ?
Car l’arabe du Maroc n’est pas celui de la Tunisie, ni c’est celui d’Egypte ou du Yémen, et ces dialectes, ne sont pas des « déformation » ou des « sous-langues » qu’il faudrait combattre, au contraire, cela est le signe même de la diversité et de la vivacité de celle-ci. Ces dialectes sont tout ce qui reste vivant de la langue arabe originelle, qui, elle, est bien morte depuis bien longtemps. Ne vivent en effet que les langues qui évoluent, qui suivent leurs temps, qui se transforment et qui s’enrichissent. Dans le cas précis de l’arabe, ce sont les dialectes qui remplissent avec beaucoup de succès cette fonction.
L’identité arabo musulmane est, nous le voyons bien, elle même d’une variabilité et d’une diversité énorme. Ne nous hasardons donc plus à vouloir réduire l’identité de la Tunisie à ses seuls caractères arabes et musulmans qui bien que réels sont en réalité indéfinissables car multiples, mais définissons et défendons  la Tunisie dans toute sa diversité.


Pour une identité tunisienne
Qu’il paraît pauvre aujourd’hui ce slogan « Identité arabo-musulmane de Tunisie », qu’il paraît insignifiant ! Comme si un peuple avait besoin qu’on « défende » son identité ? Le peuple et la nation créent et synthétisent leur propre identité.
L’identité ne s’impose pas, ne s’importe pas ! Elle se pratique !
Ceux qui s’érigent en défendeurs d’une identité figée et conceptuelle, le font soit dans une visée populiste ou pour imposer un modèle de société importé et étranger à la Tunisie.



Il faut aujourd’hui militer pour une réelle identité Tunisienne, la seule authentique et concrète, la seule qui existe réellement. Luttons contre ces tentations uniformisatrices qui, au nom d’une idéologie tentent de gommer les particularismes des nations pour les figer dans un ensemble culturel et religieux momifié, sanctuarisé et mort.
Les Tunisiens ne ressemblent à aucun autre peuple et c’est tant mieux. Détachons nous de ce besoin de nous arrimer à une entité qui n’en est pas une et sachons affirmer ce qui nous différentie. Soyons fiers d’être nous mêmes et affichons fièrement notre différence, notre tunisianité, nos valeurs, nos idées, notre culture et notre histoire !

Pour aller plus loin :

mercredi, octobre 26, 2011

Non, Ennahdha n’est pas majoritaire… loin de là !

Après des jours de stress et d’attente, les premiers chiffres des élections commencent à être publies. Et ces chiffres sont édifiants ! Ils expliquent à eux seuls les raisons de la surprise électorale que la majorité des tunisiens ont ressenti suite à l’avance substantielle que le mouvement Ennahdha a connu.



Le constat

Bien qu’il apparaisse indubitablement que le mouvement Ennahdha soit une force politique majeure de la scène Tunisienne, concentrant en moyenne de 20 à 30% des voix, elle est bien loin d’être majoritaire ! On en voudra pour preuve les chiffres suivants des circonscriptions de Nabeul 2, du Kef et de Monastir où, bien qu’arrivant en tête avec un nombre respectable de sièges, Ennahdha ne représente que respectivement : 27%, 28% et 19% des voix ! 
Décompte des voix à la circonscription de "Nabeul 2"

 Décompte des voix à la circonscription de"Kef"

Décompte des voix à la circonscription de "Monastir"

De même, le système électoral lui a même permis d’obtenir jusqu’à 33% des sièges à Monastir alors qu’il a obtenu moins de 20% des voix !

Il est clair que ce scrutin a faussement mis en avant ce parti qui a profité de l’effritement des voix sur les petites listes de partis inconnus sans base populaire et sur les listes indépendantes. Ces fameux indépendants et ces petites listes qui se voyaient déjà élues ne représenteront finalement que 5% des élus de l’Assemblée Constituante. 

Ainsi, un fait un clair : 50% des voix des tunisiens sont représentés par 5% des sièges à l'Assemblée Constituante ! Tel est le vrai choc de cette élection ! La représentativité de cette assemblée apparaît ainsi considérée toute relative !

Il ne s’agit pas ici de trouver un coupable. Le système électoral ? Les petits partis ? Les indépendants ambitieux ? Probablement, tous et aucun à la fois.
Mais il faut cependant se rendre à l’évidence éclatante des chiffres, ces centaines de milliers voire ces millions de voix n’ont servi à rien, sauf à mettre faussement Ennahdha en avant.
Bien que n’appréciant guère le terme d’ « inutile », car ces votes naissent généralement d’une conviction forte et sont donc des voix de raison, il faut bien se rendre à l’évidence qu’elles ont été peu productives et n’ont fait qu’accentuer le score d’Ennahdha qui, bien qu’honorable, est loin d’être un plébiscite ! Nier ce fait serait soit faire preuve de mauvaise foi, soit d’un du déni de la réalité.



Déconstruire le mythe



Il est aujourd’hui urgent de déconstruire le mythe qu’Ennahdha essaie d’édifier et de nous imposer : Non Ennahdha n’est pas majoritaire et ne représente pas l’opinion de la majorité des tunisiens. Elle ne rassemble tout au plus que 30% de la population. Ce qui, au demeurant, est relativement en accord avec les sondages effectués quelques semaines avant les élections.

Il est probable qu’Ennahdha ait bien compris ce facteur, d’où ses intentions affichées d’ouverture et de modération pour la formation du nouveau gouvernement, et ses signes de conciliation sur la polygamie, les Droits des femmes et les Droits de l’Homme.



L’espoir



Il faut aujourd’hui que les partis politiques de la nouvelle opposition intègrent clairement ce facteur et reprennent espoir car rien n’est perdu et loin de là ! Il faut qu’ils contribuent à déconstruire le mythe et à mettre en avant la diversité de la société tunisienne.

De toutes les manières, il est certain que ce vivier de voix « inutiles », qui atteint parfois les 50 % dans certaines circonscriptions, est le futur électorat de l’opposition. Car s’il n’a pas voté Ennahdha aujourd’hui, c’est qu’il n’est probablement pas sensible à une telle idéologie et à son projet rétrograde, voire les rejette.

Il va donc falloir aller chercher cet électorat par la force de la persuasion, par un discours rassurant, fédérateur et des solutions réalistes et concrètes à ses problèmes.

N’oublions pas que de nouvelles échéances électorales : présidentielles, législatives, locales, nous attendent dans quelques mois, et que le temps passera très vite! Alors, rassemblons nous ! Fédérons nous autour des valeurs qui fondent notre Tunisie et cristallisent le fondement de notre identité ! Ne cédons pas au défaitisme et à la sinistrose et ensemble, laissons les égos, les petites prétentions adolescentes et les ambitions creuses, et unissons nous autour de partis forts, puissants, aux programmes clairs et à la visibilité importante. Occupons le terrain des idées et de l’action.

Dans ce paysage politique encore jeune, tout est possible et les forces qui aujourd’hui profitent de la profusion et de l’éparpillement des voix ne seront pas éternellement majoritaires.

La démocratie est faite de cela, de flux et de reflux. Sachons garder espoir et ne baissons pas les bras ! N’oublions jamais que le champ des possibles est énorme et que le plus dur reste à faire !


MAJ : Suite aux remarques de certains commentaires concernant l'échantillon de circonscriptions sélectionné, ci-dessous un complément sur les autres résultats définitifs proclamés jusqu'aujourd'hui.
Nous restons donc bien loin des 60% de voix Nahdhaoui qu'évoquent certains militants et supporters de ce parti, la moyenne se situant aux alentours de 30 à 35%.


Je mettrai en ligne, le résultat définitif des voix dès qu'ils seront proclamés.
Décompte des voix à la circonscription de "Manouba"
Décompte des voix à la circonscription de "Jendouba"

Décompte des voix à la circonscription de "Zaghouan"

Décompte des voix à la circonscription de "Tataouine"


MAJ 2 : Sur ce tableau un suivi des résultats en temps réel avec les pourcentages de voix obtenus pour chaque parti. Les listes indépendantes ne sont pas listées car trop nombreuses. Merci à Arabasta.

mercredi, septembre 28, 2011

La liberté difficile


Une part de liberté a peut être été acquise au lendemain du 14 janvier et sous le gouvernement M. Ghannouchi, mais elle est aujourd’hui menacée par les tenants de l’ordre moral et les néo-défenseurs de Dieu.
Ce qui me fait écrire ces lignes c’est cet article (en arabe) paru dans une pseudo agence de presse. L’article se félicite de l’interdiction de diffusion d’une série de documentaires sur la femme dans l’Islam qu’il accuse d’attaquer l’Islam, le prophète et Allah et ainsi d’être anti-islamique. Sans juger de l’honnêteté douteuse de la journaliste qui n’a sans doute pas vu les dits documentaires, la question centrale qu’on peut se poser est : Quel modèle de liberté veut-on pour la Tunisie ? Est-ce une liberté réelle ou un simulacre de liberté où les sujets qui dérangent seraient tabous ?

Ni Dieu, ni l’Islam n’ont besoin d’avocat
La raison essentielle avancée par les personnes interviewées dans l’article (tous de la mouvance islamique au demeurant) qui justifierait l’interdiction est que le contenu s’attaque à l’Islam et au Prophète. Est-ce que critiquer, apporter une vision nouvelle est une attaque ? Est-ce que le fait de questionner des dogmes est une attaque ? Est-ce qu’il y a diffamation d’une religion lorsqu’on se permet de mettre en doute certaines de ses interprétations ou de ses pratiques ? Enfin, est-ce que les croyants le sont moins à la vue d’un documentaire ou de la lecture d’un livre ?

Ce qu’oublient ces néo-censeurs c’est que la foi des croyants est puissante et que ni l’Islam, ni Dieu, ni non Prophète n’ont besoin d’un avocat. La parole divine ne se trouve pas diminuée par un débat ou une opinion critique. Chacun, au fond lui, sait ce qui est juste et bon pour lui. Si un croyant entend quelque chose qui diverge de sa foi, est ce que cette dernière diminuera ? La foi d’un musulman serait-elle aussi faible ? Je ne pense pas.

Car au fond, sur toutes ces questions de religion qui agitent la société Tunisienne, c’est bien une question d’interprétation et une vision de l’Islam qui est remise en cause. Non l’Islam en lui-même. C’est donc bien une forme d’interdit idéologique qui est imposé par une frange conservatrice et rétrograde pour empêcher un débat sur un possible renouveau (plus que necessaire) de l’Islam.

La liberté, n’est pas simple à assumer ou à pratiquer. On doit s’habituer à lire et à entendre des choses qui sortent de l’ordinaire qui défient nos modèles de pensée. C’est à chacun de faire l’effort de dépasser ses préjugés et de laisser s’exprimer l’opinion opposée, d'accepter son existence et sa légitimité et par la suite de dialoguer avec elle, dans le respect et la tolérance.
Il y a donc dans la liberté une forme d’abnégation, de souffrance. Il ne faut s'y faire.
Ignorer cette difficulté de la liberté, c’est légitimer les interdits et les tabous. Or, l’interdiction est l’arme des faibles. L’interdiction est un aveu d’échec. C’est le refuge de celui qui ne sait ou ne peut convaincre et qui essaye d’imposer son opinion. C’est l’outil de celui qui évite le débat au lieu de prendre le risque de l’accepter.  

C’est le débat qui fait avancer les idées et la société
Remettre en cause les dogmes peut être douloureux, peut être perturbateur et difficile à assumer, mais c’est ce qui fait avancer la société et les idées. Discuter, argumenter, remettre en cause, démolir pour reconstruire, telle est l’essence même du débat d’idées. C’est ce qui fait avancer les nations et les philosophies, mais aussi les religions.

Je ne peux m’empêcher de voir dans la crise de l’Islam d’aujourd’hui que l’illustration de tous les interdits qui le sclérosent, de tous ces dogmes qui, parce qu’ils sont anciens, sont devenus indiscutables. Le raidissement de certaines sensibilités rétrogrades montre bien aussi que l’Islam actuel arrive à bout de sa logique conservatrice.
L’Islam a aujourd’hui, plus que jamais, besoin d’un grand dépoussiérage, d’une re-contextualisation, d’une réforme profonde. Oser poser les questions qui dérangent, c’est ce qui fera avancer la pensée religieuse et renforcera la foi des croyants qui se sentiront en adéquation avec le monde moderne et non en opposition à celui-ci.

Permettre un débat serein permettra de réconcilier la religion avec son monde. Cela ne se fera pas sans difficulté ni sans douleur, mais l’œuvre des lumières de l’Islam est lancée et rien ne pourra l’arrêter. Alors autant l’assumer, autant entrer dans le débat au lieu de l’éviter.
Acceptons ces difficultés qu’implique la liberté : celles de la perte des certitudes, du doute permanent et des oppositions. Apprenons à respecter la différence et cultivons la tolérance. Et payons pour cela le prix qu’il faut.

dimanche, septembre 11, 2011

Mademoiselle Liberté - Vincent Liben

Un coup de coeur musical, cela faisait longtemps !

dimanche, juillet 17, 2011

Tunisie : une révolution sans idées


Un ami me racontait il y a deux jours : “J’étais dans le feu de l’action les jours précédents le 14 janvier, j’ai fais face aux balles et j’ai manifesté le 14 avec toute la joie et la fierté de participer à un moment historique. Mais aujourd’hui, je déchante. Ceux qui ont fait le 14 janvier sont totalement débordés par les hordes de néo-révolutionnaires qui ont occupé, cannibalisé et brouillé l’espace public après la fuite du dictateur.  Ceux qui nous ont volé la révolution sont les néo-révolutionnaires qui jouent à la surenchère» Triste constat qui ne fait que se vérifier chaque jour, notamment après la tentative avortée d’un nième rassemblement à la Kasbah, devenu le point de ralliement à la mode pour toutes les causes, des plus justes aux plus sottes.
Alors, six mois après la fuite de Ben Ali, que reste-t-il du souffle révolutionnaire du 14 janvier ?

Ultra-révolutionnaires, néo-censeurs et « majorité silencieuse »
Il est triste de constater qu’au fond, cette révolution ne se nourrit pas d’idées structurantes. Trouvant ses racines dans un profond malaise de société, elle n’avait pour objectif essentiel que d’en finir avec un système personnifié en Ben Ali. Cependant, aucune alternative n’était proposée, aucun projet politique ou de société n’était revendiqué. Or, ce particularisme, qui a tant fait parler de lui et qui a rendu la révolution tunisienne si populaire à étranger et dans lequel certains ont vu la (re)-naissance de sociétés civiles fortes, pourrait bien être la plus grande faiblesse de celle-ci.
Car, aujourd’hui, trois mouvements de fond se dégagent :

Des ultra-révolutionnaires en manque d’action
Cette première catégorie de personnes, grisée par les manifestations qui lui étaient jusque là inconnues, joue la surenchère sans néanmoins détenir la moindre culture politique. Elle s’en trouve donc prise au piège de la naïveté de ses revendications. Peu encadrée, elle entretient sa propre conviction que la démocratie se construit par les manifestations, les sit-in et les perturbations. Surtout, elle fait montre d’une véritable inconscience du fait que les enjeux auxquels fait face le pays sont certainement plus profonds que la nécessité proclamée de « faire participer les jeunes », obtenir « la démission du ministre de l’intérieur » ou refuser toute « normalisation avec Israël ».
Ces néo-révolutionnaires, dont l’essentiel des demandes sont formulées à la manière des « nous voulons que… », « il faut que… », doivent aujourd’hui sortir de cette logique de demande, voire parfois de supplication, et au contraire, réellement s’engager. Car tout reste à faire. Le tissu associatif en Tunisie, malgré son récent enrichissement, demeure trop faible. Les partis politiques, à quelques exceptions près, sont encore peu structurés, et les débats qui les animent peu stimulants.
C’est dans l’engagement actif, vigoureux et sincère, que les choses peuvent avancer. C’est à travers les associations que l’on peut changer le quotidien de son quartier, et faire pression sur le gouvernement. C’est à travers les partis que l’on peut changer la politique et la société.
Il faut avoir foi en le changement, tout comme la volonté forte de faire changer les choses par l’action.
Cette prise de conscience se fait attendre, et pour le moment, l’immaturité des revendications et des actions est plutôt de mauvais augure.

Le retour de la répression et l’apparition de faux problèmes
Sur l’autre flanc de la foule des revendicateurs, on trouve un autre mouvement qui lui est opposé. Celui-ci prône un retour à l’ordre moral et, à travers l’évocation de faux problèmes, tente de brouiller le débat public.
En effet, les récentes affaires du retour de la censure sur le net et de la plainte déposée contre Nadia el Fani pour son film de la part d’avocats proches du mouvement Ennahdha, montrent bien que, si la liberté l’expression et les droits de l’Homme étaient en tête d’affiche le 14 janvier, il reste une petite fraction de la société tunisienne qui n’est pas encore prête à assumer pleinement cette liberté, et à en accepter tous les aspects qu’elle englobe.
Cette même population, peu encline à accepter les principes de liberté d’expression et de droit à la différence en raison de ses convictions religieuses et morales, constitue à n’en pas douter le plus grand danger auquel sont exposés la révolution tunisienne et ses acquis. Elle pose en effet le problème de la coexistence de la démocratie et de la liberté d’une part, avec les convictions religieuses d’autre part. Et de ce débat, loin d’être accessoire, occupe aujourd’hui une grande part du débat de société en Tunisie.
Ce débat se trouve cependant perturbé par l’introduction de faux problèmes tels que la question de la normalisation des relations avec Israël ou celui de l’identité tunisienne. Questions sur lesquelles la plus grande partie de la population s’accorde pour les qualifier de faux problèmes, en particulier à un moment où les défis auquel le pays fait face sont d’une particulière gravité.
Enfin, assombrissant encore un peu plus le tableau, le retour d’une certaine forme de répression policière ces derniers jours, bien que largement populaire auprès de la population qui, lassée des derniers mouvements cherche avant tout son confort, ne fait que faire poindre le risque de voir réapparaitre les pratiques répressives du passé.

Une majorité silencieuse désinvolte
Entre ces deux précédents mondes vit le reste de la population. Celle-ci observe ce spectacle permanent sans réellement le comprendre ni en saisir les nuances ou les enjeux. A titre d’exemple, les inscriptions aux listes électorales sont lancées depuis une semaine et le constat général est partout le même : un désintérêt clair de la part de la population. En dehors d’une minorité, souvent jeune est très politisée et qui s’engage dans cette démarche (soit activement à travers des actions de volontariat, soit passivement en allant simplement s’inscrire), le reste de la population, désinvolte, continue de vaquer à ses occupations estivales. Est-il symptôme plus caractéristique de la vacuité idéologique de la révolution tunisienne ? La majeure partie de la population demeure insensible au débat politique actuel, qu’elle perçoit comme déconnectée de la réalité et loin de ses préoccupations quotidiennes.

Ecartelée entre des mouvements antagonistes, souffrant de famine en termes de culture politique et surtout dénuée de socles idéels tangibles, la révolution tunisienne est en passe de se perdre dans les méandres des discussions stériles.
Vue sous cet angle, cette révolution pourrait bien se transformer, in fine, en une simple révolte, conduisant irrésistiblement à renouer avec les mentalités paternalistes et répressives du passé.
                                          
Se retrouver sur les fondamentaux
Ecartelée entre ces mouvements contraires, la société tunisienne ne doit pas perdre de vue l’essentiel, les raisons pour lesquelles cette révolution a vu le jour, l’impérative nécessité d’une répartition plus équitable de la richesse au sein de la société et la consécration des droits et des libertés dans leur conception la plus universelle. Car aujourd’hui, aucun des débats qui animent la scène publique ne se rapporte à l’une ou l’autre de ces questions. Chaque partie brode sur des problématiques secondaires, sans doute pour masquer son incapacité à répondre à ces revendications aussi profondes que fondamentales.

Car si la révolution a bien réussi à exiler le dictateur, reste sa seconde ambition, plus importante et plus difficile encore à réaliser, celle de voir naître et vivre de grandes idées et de nouvelles mentalités. Nous ne pourrons pas construire une nouvelle Tunisie sans un souffle réformateur fort, sans un engagement populaire unanime pour la liberté et les droits. Une prise de conscience partagée par tous que notre destin, dans la diversité des chemins de chacun, ne pourra être soudé que par l’acceptation par tous qu’il nous faut mettre les valeurs humanistes universelles avant toute autre considération. A défaut, cette révolution du 14 janvier restera orpheline de ce qu’elle aura voulu inventer, et rien ne sera plus simple que de rétablir, bientôt, une nouvelle dictature. 

dimanche, mai 15, 2011

Goulag et Démocratie de Mohamed Talbi


L’Avenue ce jour là était calme : les passants étaient là, les bezness étaient là, les péripatéticiennes aussi. Toute cette atmosphère respirait la liberté.
Heureux étais-je donc mais aussi fier, d’aller acheter un livre à Tunis : la joie d’enfin retrouver des lectures intéressantes à la libraire El Kitab se mêlant à la fierté du constat de la liberté (re)trouvée.
Mon choix s’est porté sur un gros livre gris et à la couverture peu engageante : Goulag et Démocratie de M. Mohamed Talbi.
Revenu chez moi, et ayant lu les première pages du livre, l’enthousiasme du moment laissa rapidement place à une grande déception : Comment est-ce possible ? Comment expliquer un écrit d’une si mauvaise qualité d’un penseur aussi brillant ? Que s’est-il passé pour que Talbi nous délivre cela ?

Quelle déception !

En guise d’introduction, l’auteur commence par se plaindre qu’aucun éditeur n’ai voulu publier son livre et qu’il a donc obligé de le publier à son compte. A la lecture, je comprends mieux le refus des éditeurs.
Ce livre, bien qu’il ne soit pas sans intérêt n’est tout simplement pas fini, il n’est pas abouti. Ce livre n’est pas du niveau qu’on attendrait d’un penseur de la trempe de Talbi : répétition des propos (parfois des pans entiers de textes se retrouvent mot à mot dans différents endroits du livre), sujet mal ficelé et déstructuré (on comprends où il veut en venir, mais il n’y arrive tout simplement pas, se perdant en circonvolutions complexes et inutiles), argumentation faible et incohérente et j’en passe…

Dans ce texte de plus de 300 pages, Talbi établi un état des lieu des libertés sous le régime Ben Ali jusque dans les années 2007/2008, décortique et théorise les raisons qui sont, d’après lui, à l’origine de la soumission des peuples arabes à leurs régimes dictatoriaux. Il présente également des portraits de militants des droits Humains que notre pays connaît bien aujourd’hui. Bien que l’encensement dont Sihem Ben Sedrine soit le sujet me gêne personnellement.

Au vu donc des sujets abordés, le livre ne manque certainement pas d’intérêt, mais il lui manque cette touche qui transforme un brouillon en livre, celle qui fait de la banalité en une chose digne d’intérêt. Talbi aurait dû relire et faire relire son texte car à cause de cette faute, à mon sens inexcusable, son livre perd une part importante de son impact. Et c’est ainsi qu’un possible coup de maître ne se trouve qu’être un coup dans l’eau.

En fin de compte, qui suis-je, diriez vous, pour critique M. Talbi ? Vous avez parfaitement le droit de vous le demander mais ma pensée n’engage que moi même et aussi arrêtée puisse-t-elle être, elle n’en reste pas moins pleine de sincérité et de légitimité.

Verdict : Ne pas acheter.
Goulag et démocratie – Mohamed Talbi – A compte d’auteur
Prix : 20 DT en Tunisie. 20€ partout ailleurs.

vendredi, avril 22, 2011

Dégage : un livre, des témoignages


Quelle révolution et quelle créativité ! Des slogans, aux mots d’ordre, des banderoles aux créations picturales improvisées, la révolution tunisienne aura été un formidable catalyseur et révélateur de la créativité artistique des tunisiens. Durant un mois on aura vu se succéder sur tous les supports (facebook, twitter, la rue, les manifestations) une foule de nouvelles formes d’expressions les unes plus créatives que les autres. Il était donc légitime voire nécessaire de compiler cette richesse en un livre pour le souvenir et l’histoire.

 Mission de compilation réussie par les éditions Alif avec ce livre dont le titre résume tout : « Dégage ». Avec plus de 100 témoignages et 500 photos, c’est une part importante de l’histoire instantanée, actuelle et charnelle qui a été capturée et magnifiée. C’est à un excellent travail de compilation, d’analyse et de témoignage que se sont livrés les auteurs. Le tout est collecté dans une édition d’une qualité exceptionnelle et rarement vue en Tunisie. Le texte est de qualité, les témoignages des intervenants percutants, l’analyse fine et le choix des images extraordinaire.

Ce que nous rappelle enfin aussi ce livre c’est que la révolution tunisienne n’a jamais été une révolution religieuse. On pourrait presque la qualifier de laïque. C’est une révolution pour les droits, la démocratie, la liberté, la dignité. Une révolution qui a trouvé naissance dans le terreau de la misère sociale et que les villes, à travers leurs petites bourgeoisies et leurs classes cultivées ont sut porter et informellement encadrer. Révolution propre, révolution culturelle et laïque.

« Dégage », aux éditions Alif. Prix 35Dt en Tunisie, 24 euros en France.

A lire également : « La révolution tunisienne – dix jours qui ébranlèrent le monde arabe » d’Olivier Piot.

jeudi, avril 21, 2011

M. Talbi : "L’Islam est laïcité, démocratie et liberté"

La Presse - Mohamed Talbi, penseur, historien et islamologue a publié il y a deux mois un nouvel ouvrage Goulag et démocratie.
Un ouvrage qui vient s’ajouter à la dizaine d’opus qu’il a signés ou cosignés avec d’éminents penseurs d’Occident dont Ibn Khaldoun et l’histoire, Refléxion sur le Coran, avec Maurice Bucaille, Plaidoyer pour un Islam moderne, Universalité du Coran, Ummat el wassat, Rêves brûlés, Afin que mon cœur se rassure, L’Islam n’est pas voile, il est culte.
Musulman pratiquant adepte d’un Islam libéral et progressiste, il prône une lecture vectorielle du Coran consistant «à prendre en compte l’intentionnalité du Livre saint et non pas les jugements émis à une époque révolue».
Dans Goulag et démocratie il récapitule, pour l’histoire, ce que furent 20 ans de pouvoir de Ben Ali, de 1987 à 2007, en analysant comment la dictature a été instaurée en Tunisie.
Dans cet entretien, il développe cette analyse en remontant le fil du temps et de l’histoire. Il répond, également, à d’autres questions aujourd’hui d’actualité brûlante sous nos cieux : la révolution, les dictatures et l’Occident, la laïcité, le voile selon la chaâria et le processus démocratique en cours. Ecoutons-le.

Vous avez publié il y a un mois un nouvel ouvrage intitulé Goulag et démocratie sur 20 ans de pouvoir de Ben Ali. Pouvez-vous nous en dire plus pour les lecteurs de La Presse ?
Le livre a été conçu comme un document pour l’histoire. Je suis historien professionnel et à l’occasion du 20e anniversaire du 7 novembre 1987, dit «béni», il m’a semblé utile de récapituler, pour l’histoire, ce que furent 20 ans de pouvoir de Ben Ali. D’où cet ouvrage, actuellement dans les librairies.
Cet opus aurait dû paraître en 2007, plus précisément début 2008, mais naturellement, je n’avais pas alors trouvé d’éditeurs vu le contenu du livre. Le renversement de Ben Ali a changé la situation et j’ai pu alors sortir Goulag et démocratie où j’essaye d’analyser comment la dictature s’est installée en Tunisie, en remontant à la colonisation et en passant par Bourguiba qui fut l’architecte de la dictature tunisienne copiée sur le modèle bolchévique russe avec un parti unique dont il fut le président, un politbureau dont il était le président et dont il nommait les membres et une Constitution faite sur mesure.
Bourguiba avait exercé une dictature totale qui avait quand même l’aspect d’un despotisme éclairé. Celui qui lui avait succédé a trouvé déjà la dictature en place. Il avait promis la démocratie, en fait il n’a fait que renforcer cette dictature, en en faisant un système de gouvernement policier et en ajoutant naturellement l’ignorance d’un dictateur inculte.
C’est l’objet de la première partie du livre où je fais l’analyse du mécanisme par lequel la dictature de Ben Ali devint un véritable goulag, ne laissant aucune liberté par un système de torture physique jusqu’à la mort et une asphyxie totale de la pensée.
Dans la 2e partie du livre, j’ai répondu à un certain nombre de questions qui m’avaient été adressées par des jeunes, via Internet et qui utilisaient des pseudonymes pour essayer de nouer avec moi un dialogue en me posant un certain nombre de questions.
J’ai sélectionné les questions qui portaient sur la dictature et sur les liens avec l’Islam : «Le despotisme est-il inscrit dans l’Islam, préparant les musulmans à vivre dans un système de pouvoir arbitraire, dictatorial et inique ?». J’ai essayé d’y répondre à partir de mes convictions personnelles de musulman coranique ayant une lecture vectorielle du Coran et libérée de la chariaâ. Mes analyses aboutissent à ce que l’Islam est laïcité, démocratie et liberté, et bien entendu en en faisant une lecture toujours actualisée, liée au temps et à l’espace.
Vous attendiez-vous à la révolution menée par le peuple ?
Je la considérais comme inéluctable, mais je ne pensais pas qu’elle fût aussi imminente, tant le système policier de Ben Ali était sans scrupules, gouverné par la peur, la répression et la torture jusqu’à la mort, l’asphyxie intellectuelle sans égard pour la personne humaine.
Tout cela ne me laissait pas prévoir une libération rapide, d’autant plus que le pays avait été anesthésié jusqu’à la catalepsie, jusqu’à la mort. La trahison des intellectuels et des clercs, en particulier, était telle que notre peuple était complètement apeuré ou réduit au culte du dictateur assimilé à une divinité.
Cela ne me paraissait pas de nature à laisser penser à une libération rapide, mais j’avais dans l’esprit, quand même, que le système ne pouvait pas durer à l’infini et que vu les données de l’Histoire et vu le mouvement qui emportait le monde vers le respect des droits de l’Homme et vers une vie de liberté et de démocratie, la Tunisie ne pouvait faire exception et qu’un jour ou l’autre le système craquerait.
Je ne savais pas quand, mais je pensais que la mort de Ben Ali serait le terme de la dictature, car, après lui, il serait impensable de trouver un homme qui assujettirait le peuple autant que lui.
Certains écrits journalistiques et voix d’ici et d’ailleurs ont laissé entendre que la révolution était téléguidée de l’étranger par des puissances occidentales. Qu’en dites-vous ?
Je ne pense pas que les révolutions arabes soient téléguidées par l’Occident avec en tête les Etats-Unis. Dans mon livre sur Gaza, j’avais fait au début de l’ouvrage une critique de l’attitude d’Obama envers les pays musulmans et je suis arrivé à la conclusion que l’Occident soutenait, par nature, la démocratie à l'intérieur de sa mouvance et la dictature à l’extérieur, particulièrement dans les pays arabo-musulmans. Selon cette conviction qu’il est plus facile de manipuler les dictateurs en considération de ses intérêts propres que de soumettre des peuples libres et des Etats démocratiques à sa volonté. L’Occident a toujours soutenu et continue de soutenir les dictateurs sauf lorsque ces dictateurs sont déjà en péril et pratiquement écroulés, alors ils volent au secours du mouvement démocratique qui les secouent pour sauver les meubles uniquement.
Pouvez-vous nous dire pourquoi l’Occident soutient-il ces dictatures ?
Il suffit de lire l’ouvrage de Samuel P. Huntington Le clash des civilisations pour comprendre la politique de l’Occident, de manière générale, envers les pays musulmans, sous dictature, qui sont plus favorables à l’Occident que des pays musulmans libérés de la dictature. Et que l’idéal serait la soumission totale de l’Islam à l’Occident tel que cela a été réalisé par le traité de Sèvres en 1920.
Dans les pays musulmans on a le plus souvent pratiqué la politique au nom de la religion. Considérez-vous cela une mauvaise intelligence de l’esprit ?
Absolument, le système de gouvernement musulman dès l’année 632 de l’ère chrétienne (An 12 de l’Hégire) c’est-à-dire dès la mort du Prophète Mohamed, le régime du gouvernement des pays musulmans fut un régime de despotisme au nom de l’Islam.
N’oublions pas que le pouvoir avait été confisqué par la force au profit de «Qouraïch» contre les «Ansar» à Médine. Les compagnons du Prophète s’étaient atrocement combattus pour l’accaparement du pouvoir toujours par le sabre et par la force.
A la mort de Othman, 3e calife, mort assassiné, les compagnons du Prophète étaient les uns menés par Mouaouia, les autres par Ali. Ils s’étaient atrocement entretués, pour le pouvoir. Lequel pouvoir fut à la fin confisqué par les omeyyades. Le système de gouvernement, depuis les omeyades jusqu’à nos jours, fut un système de prise de pouvoir par putsch militaire ou par guerre civile.
Nous n’avons jamais connu dans notre histoire la démocratie jusqu’au 14 janvier 2011. Le pouvoir se prenait par la force, s’exerçait par la force et se perdait par la force. Celui qui prend le pouvoir par le sabre l’exerce par le sabre, seule légitimité. Et ce fut ce cas jusqu’au 14 janvier. Essayez de faire le tour de l’histoire de l’Islam, depuis la mort du Prophète, jusqu’à ce jour vous ne trouverez pas un seul pouvoir qui ait été pris pacifiquement et exercé selon la volonté du peuple. Impossible, introuvable. Au fond Ben Ali n’avait fait que perpétuer la tradition. Il avait renversé Bourguiba par la force et exercé le pouvoir par la force. Tel est le système de gouvernement islamique, il se résume en ce proverbe «Allah younsor man sbah» ou «Que Dieu assiste celui qui, le matin,  se lève encore sur son trône».
C’est-à-dire qui n’a pas disparu au cours de la nuit. Et s’il disparaît durant la nuit que Dieu assiste son successeur, quel qu’il soit, fût-il un singe !
Il ne faut pas oublier, pour comprendre la dictature et la démission populaire dans nos pays, que le pouvoir appartient à celui qui le possède par la force. Tout au plus le peuple espère que le nouveau despote soit un peu plus humain que celui qu’il a renversé et généralement le peuple s’attend au pire. Tout cela se résume, également, dans un proverbe tunisien que nous avons sucé avec le lait de nos mères et qui explique notre servitude : «Chid mchoumek la ijik ma achwam» (Garde ton despote si inhumain soit-il de crainte que son successeur ne soit encore pire).
Dans notre mentalité, nous allons de mal en pis et il faut nous soumettre à la fatalité de l’Histoire. Notre passivité n’est pas un hasard, nos dictatures s’expliquent  par une mentalité héritée des «anciens vertueux» (essalaf essalah) qui nous ont donné les exemples des révoltes par le sabre et de la soumission par le sabre.
Les dictatures vont-elles continuer dans le monde arabo-musulman après le 14 janvier?
Le 14 janvier n’est pas une date limitée à la Tunisie, il s’agit d’une date de renversement majeure dans la mentalité arabo-musulmane. Le passage de la soumission par le sabre à la révolte populaire contre le sabre pour imposer des régimes issus du peuple et à l’exercice du pouvoir par le peuple et par l’intermédiaire d’institutions librement choisies par les peuples c’est un avènement capital de l’histoire arabo-musulmane, un renversement de mentalité.
Nous passons, nous peuples arabo-musulmans, de la situation d’objets de l’histoire subissant passivement son mouvement à celui de sujets de l’histoire, faisant l’histoire en lui imprimant le mouvement que nous désirons. Nous passons donc de la condition d’assujettis à celle de citoyens.
Que pensez-vous du débat actuel sur la laïcité?
Je consacre à cette question un ouvrage en langue arabe et qui est dans mon ordinateur. Il s’intitule : (el Islamou almania, la almanikia, hiyadoun, wa horria la ilhadiya) autrement dit L’Islam est laïcité, non laïcisme, neutralité religieuse, non athéisme.
Cet ouvrage, je le veux une étude fondamentale, notes à l’appui et texte coranique cité, établissant que le Coran est laïcité, car il est liberté religieuse non contrainte. De ce fait, le Coran ne peut être que laïque, au niveau terrestre, permettant à toutes les sensibilités religieuses de vivre en cohabitation pacifique les uns avec les autres, en dehors de toute considération de foi ou de confession, telle fut particulièrement la situation à Médine du temps du Prophète Mohamed où polythéistes, juifs, chrétiens et musulmans cohabitaient ensemble dans une gestion commune  de leurs affaires terrestres. Sans interférences dans les affaires religieuses des différentes communautés confessionnelles. Tel était le système de Médine où toutes les communautés géraient en commun la ville où ils habitaient conformément à leurs intérêts communs terrestres.
L’Islam n’est pas «Din wa Dawla» (Religion et Etat). L’Etat est commun à toutes sortes de confessions religieuses, il doit être neutre vis-à-vis de ces différentes communautés religieuses.
Un principe de l’Islam dit: sous la forme d’un hadith «est musulman celui qui ne porte pas préjudice aux autres hommes» (El mouslimou man salima ennasou min yadihi wa lissanihi).
Alors que l’Islam chez les salafites porte préjudice par la langue et la main aux autres hommes. Coran nous dit :  «Musulmans ! Occupez-vous de vos affaires. Peu vous importe celui qui s’égare; si vous êtes sur la bonne voie».
Concernant le voile, le mouvement Ennahdha continue à afirmer qu’il est conforme à la chariaâ. Qu’en dites-vous ?
Dans mon livre L’Islam n’est pas voile, il est culte, je consacre toute la première partie à une accumulation de preuves minutieusement détaillées de textes démontrant que c’est une fausse interprétation du Coran.
Entre autres, je dis que les femmes qui veulent se voiler que grand bien leur fasse ! Et que celles qui ne veulent pas le porter grand bien leur fasse ! Ceux qui sont pour le voile disent que seule leur interprétation est juste. Moi je donne une autre interprétation en faveur de laquelle j’accumule les preuves. Et c’est mon droit, chacun a le droit de donner son interprétation. Mais, selon la chariaâ stricte Ghazali a résumé dans «Hojjatou El Islam» la condition de la femme en deux mots : «El maraâtou wadhouha : errik» (la condition de la femme: l’esclavage). Selon la chariaâ stricte la femme ne doit sortir de chez elle qu’avec l’autorisation de son mari ou de son tuteur et accompagnée d’un parent avec lequel elle ne peut se marier et auquel cas, elle doit se voiler totalement du sommet de la tête jusqu’aux pieds, avec une petite ouverture, par l’œil gauche, pour voir. Maintenant, on applique une demie mesure chez nous, or les Saoudiens et les talibans ne sont pas d’accord pour le hijab à la tunisienne.
Le parti Ennahdha prône un discours rassurant sur le Code du statut personnel (CSP), qu’en dites-vous ?
On n’a qu’à le prendre au mot.
Vous avez dit que Rached Ghannouchi, le chef du parti Ennahdha, n’est pas sincère quand il parle de démocratie, pourquoi donc ?
Parce qu’il ne peut pas répudier ouvertement la chariaâ, sans s’aliéner totalement son public. Je suppose qu’il n’est pas sincère quand il parle de démocratie. Pour lui, la démocratie n’est qu’une étape pour avoir la majorité qui lui permettra d’accéder au pouvoir pour imposer alors la chariaâ dans toute sa rigueur par des voies démocratiques, en faisant voter par une assemblée coloration «salafite» les lois adéquates conformes à la chariaâ.
Mais Rached Ghannouchi invoque le système démocratique façon turque ?
Le système turc est laïque, on doit  alors copier la Constitution turque qui est une Constitution laïque. Si Rached Ghannouchi adopte une Constitution inspirée de celle de Turquie, et en particulier séparant la religion de l’Etat, à ce moment là, il deviendrait un démocrate à part entière.
Pensez-vous que le processus de transition démocratique est sur la bonne voie et que les élections répondront aux critères démocratiques ?
Je suis optimiste et je fais confiance aux médias tunisiens qui ont un rôle capital à jouer, en ce sens, en imposant la transparence des élections afin qu’elles soient réellement inattaquables sur le plan de l’honnêteté du scrutin. Quand je vois le peuple tunisien, tel qu’il est dans les rues, femmes et hommes, avec une représentation favorisant l’égalité des femmes à l’Assemblée constituante, cela me laisse espérer que la Tunisie est sur la bonne voie d’un système démocratique, parmi les plus avancés au monde. Vous les journalistes soyez vigilants et tenez bon jusqu’au 25 juillet 2011.



Reprise intégrale de l'article publié par le journal "La Presse" le 21/04/2011.