Les deux concerts dans la capitale de la star américaine Mariah Carey sont loin d’avoir fait le plein. Mais les organisateurs s’en sortent sans dommage.
Issam Allani jubile. À l’en croire, les deux concerts donnés à Tunis, les 22 et 24 juillet, par la chanteuse américaine Mariah Carey ont été « un grand succès artistique et médiatique ». Le représentant d’Intervalle Events, la société organisatrice, a en effet toutes les raisons d’être satisfait. Mais pour la Tunisie, la facture est salée : 3 millions de dollars, au bas mot. Soit, 1,5 million pour le cachet de la star et le reste en frais : location d’un jet privé avec chambre et salle de bains, transport et hébergement des cinquante membres du staff, etc. « Le bisou lancé sur scène par Mariah Carey nous coûte cher, grogne un diplômé-chômeur. Avec cette somme, on aurait pu créer des centaines d’emplois. »
Issam Allani jubile. À l’en croire, les deux concerts donnés à Tunis, les 22 et 24 juillet, par la chanteuse américaine Mariah Carey ont été « un grand succès artistique et médiatique ». Le représentant d’Intervalle Events, la société organisatrice, a en effet toutes les raisons d’être satisfait. Mais pour la Tunisie, la facture est salée : 3 millions de dollars, au bas mot. Soit, 1,5 million pour le cachet de la star et le reste en frais : location d’un jet privé avec chambre et salle de bains, transport et hébergement des cinquante membres du staff, etc. « Le bisou lancé sur scène par Mariah Carey nous coûte cher, grogne un diplômé-chômeur. Avec cette somme, on aurait pu créer des centaines d’emplois. »
D’ailleurs, les deux concerts ont-ils vraiment si bien marché ? Après avoir fait imprimer les billets dans un pays européen, les organisateurs avaient multiplié les points de vente. Des guichets avaient été installés dans les Maisons de la culture et de la jeunesse, dans les stades, les théâtres et les aéroports, à l’hypermarché Carrefour de La Marsa, dans les agences à l’étranger de Tunis Air et de l’Office national du tourisme (ONT), et jusque dans certains cafés. Pourtant, à une semaine du premier concert, le nombre des billets vendus ne dépassait apparemment pas 6 000. L’objectif étant de 80 000, on comprend que les organisateurs aient quelque peu paniqué. Et appelé les autorités à la rescousse.
Un véritable forcing a alors été engagé auprès des entreprises, publiques et privées, pour les convaincre d’acheter des carnets de billets. « Deux jours avant le premier concert, raconte Mourad, l’un de mes amis, qui dirige une entreprise, m’a appelé pour m’offrir gratuitement une vingtaine de billets. J’ai compris que sa société en avait acquis une grande quantité. À mon tour, j’ai tenté d’en offrir dans mon entourage, mais sans grand succès. D’ailleurs, il m’en reste encore. » Invités à acheter - et à payer cash - autant de billets que leurs établissements comptaient de touristes, des hôteliers ont carrément décliné et n’ont consenti à intervenir qu’en tant que revendeurs. Et pour faire bonne mesure, des milliers de billets ont été « bradés » pour un prix symbolique, à la dernière minute.
Peine perdue. Le 22 juillet, à 22 heures, certaines travées du stade d’el-Menzah sont encore passablement clairsemées. Problème : la star a, dit-on, exigé la présence d’au moins 25 000 spectateurs pour consentir à chanter. Vers 22 h 30, les organisateurs doivent se résoudre à ouvrir les portes du stade aux milliers de jeunes désargentés qui attendent à l’extérieur. Ces derniers assisteront au concert sans bourse délier. À 23 heures, Mariah Carey finit par monter sur scène. Avec une heure de retard. À la fin du concert, de nombreux spectateurs ne cacheront pas leur déception. Ce couple de jeunes Allemands, par exemple : « Nous aurions mieux fait de rester à la maison et de la regarder sur DVD. Placés beaucoup trop loin de la scène, nous n’avons à peu près rien vu. Heureusement qu’il y avait les cinq écrans géants. » Pour le second concert, des centaines de spectateurs ont, semble-t-il, été conduits au stade par cars entiers.
Tous comptes faits, Allani - et la presse locale avec lui - estime que les deux concerts ont attiré au total 80 000 spectateurs. Mais sur un site Internet spécialisé, un fan belge présent à Tunis évalue à 25 000 le nombre des spectateurs lors du premier concert, estimation corroborée par de nombreux Tunisiens.
Le montant des recettes n’a pas été révélé, mais on sait que le prix des places était de 1 000 dinars (770 dollars) dans la tribune d’honneur, de 200 dinars dans les travées avoisinantes et de 40 dinars, en moyenne, ailleurs. En se basant sur ce dernier prix « populaire » et pour 80 000 spectateurs revendiqués, la recette billetterie serait donc de 3,2 millions de dinars (2,45 millions de dollars). En prenant en compte le chiffre plus réaliste de 25 000 spectateurs par concert, on arrive à 2 millions de dinars. À cela s’ajoute la manne fournie par les sponsors, dont le montant est lui aussi jalousement tenu secret. Grâce à une fuite, on a néanmoins appris qu’une entreprise privée a été sollicitée - sans succès - pour 350 000 dinars. En supposant que cinq des six sponsors officiels de l’événement aient payé en cash, on obtient la somme de 1,75 million de dinars. Au total, les recettes billetterie et sponsors oscilleraient donc entre 3,75 millions et 4,95 millions de dinars.
Le problème est que les entreprises privées n’ont, à une exception près, pas jugé utile de mettre la main à la poche. Et qu’il a fallu mettre à contribution des entreprises ou organismes publics. En l’occurrence : l’ONT, la compagnie aérienne Tunis Air, Tunisie Telecom, la Compagnie tunisienne de navigation (CTN) et la chaîne de télévision TV7. Le seul privé à avoir donné son accord est une station de radio, Mosaïque, qui a d’ailleurs engagé des moyens considérables pour promouvoir l’événement.
Pour obtenir le soutien public, qui s’est aussi traduit par la mobilisation de 3 400 policiers, les patrons d’Intervalle Events ont finement joué. Dès le départ, ils se sont efforcés de présenter ce petit événement musical comme une opération d’intérêt général, n’hésitant pas à jouer de la fibre patriotique. Allani jure que sa principale ambition est de « promouvoir l’image de marque de [son] pays » et qu’il apprécie au plus haut point « l’intérêt stratégique accordé à la culture dans le projet social du président Zine el-Abidine Ben Ali ». Grâce au financement public, sa société était assurée, quoi qu’il arrive, de tirer financièrement son épingle du jeu.
Issam Allani a créé Intervalle Events en 1997. Mais la société reste peu connue dans le milieu et l’on ne lui connaît pas d’adresse fixe. Pendant la préparation des concerts, elle s’est fait domicilier, à titre provisoire, dans un immeuble des Berges du lac. Depuis la fin du mois dernier, son téléphone ne répond plus.
En vérité, l’idée d’organiser un megashow de Mariah Carey, en étroite collaboration avec Abdou Mansouri, l’agent parisien de la chanteuse, est son premier gros coup. Les raisons de son choix restent passablement obscures. Dans les milieux du spectacle, certains estiment qu’elles relèvent du caprice pur et simple.
Superstar dans les années 1990, Mariah Carey (36 ans) sort à peine d’une grave dépression et d’un gros passage à vide professionnel. Ses concerts tunisois étaient les premiers depuis trois ans. « En dehors de quelques cercles cosmopolites, explique une jeune femme branchée, elle n’est pas populaire en Tunisie. Il est même difficile, sinon impossible, de se procurer un CD original d’elle dans les magasins de la capitale. » En plein mois de juillet, les amateurs de ce genre de spectacle sont presque tous en vacances dans les stations balnéaires. Et l’on imagine mal un père de famille accepter d’accompagner au stade ses enfants mineurs - c’est le « cœur de cible » -, puis de poireauter sur un parking jusqu’après minuit ! Autre cible affichée : les touristes. Mais les organisateurs ont apparemment oublié que, dans leur écrasante majorité, ceux-ci ne disposent que d’un faible pouvoir d’achat et qu’ils sortent et dépensent le moins possible. Quant aux fans européens qu’Intervalle Events se promettait de faire venir par charters entiers, on les attend toujours.
Et puis, il y a le contexte politique. Présenter à Tunis une star américaine alors que les États-Unis soutiennent les meurtrières offensives israéliennes en Palestine et au Liban paraît pour le moins hasardeux. « En temps normal, j’y serais allé, explique un jeune Tunisois frais émoulu d’une université américaine. Mais là, j’ai jugé que ce ne serait pas décent. » Correspondance particulière
Source: “Jeune Afrique”, N° 2378 du 7 au 14 aout 2006
6 commentaires:
Hey, t'as jeté un coup d'oeil sur mon poste du concert ? j'y étis moi !
He bien moi aussi j'y étais ;-)
eh ben moi j'y étais pas, bien heureusement. Même si on me payait, j'irais pas voir cela d'ailleurs ! :-)))
Oh ben si, évidemment si on me donne une très forte somme pour aller à ce concert j'y vais... je m'achète juste avant un lecteur MP3 et puis j'écouterais ma musique à moi pendant le concert pour ma me laisser casser les oreilles par cette musique qui m'intéresse si peu. :-)
Merci en tout cas d'avoir retranscrit cet article édifiant. ça me fait penser à l'expression latine de Juvénal "panem et circenses" ("du pain et des jeux"). L'Etat sponsorise largement un événement et cela s'avère être une charge énorme... mais que ne ferait pas l'empereur pour divertir la plèbe (aux frais de celle ci évidemment)...?!
Il est vrai aussi que, dans ce cas précis, la combinaison des choix faits (choix de l'artiste, choix du lieu et de la date) semblent avoir fait l'objet de calculs fort judicieux... ben au moins il faut espérer que ce genre de mésaventure servira de leçon pour une prochaine fois.
Ma parole mon p'tit Sup'Co, tu as retrouvé l'inspiration pour écrire. C'est bien !
@Roumi : A propos de "panem et circenses"; j'ai lu une fois un texte romain parlant de la politique de l'état dans le domaine des loisirs et comme quoi il fallait divertir le peuple des affaires politiques. Est ce que tu aurais le texte en question ou une idée sur où je pourrais le retrouver ?
Je présume qu'il est assez connu...
@sup'co : Je ne suis pas sûr de deviner de quel texte latin tu parles. ça peut être Juvénal, ça pourrait aussi être Sénèque qui n'aimait pas ces jeux... ce pourrait aussi être un auteur chrétien pourquoi pas... tes informations sont vagues mon Grand... je vais essayer de chercher...
Néanmoins, il y a un livre très connu et intéressant à lire à ce sujet :
VEYNE Paul, Le pain et le cirque. Sociologie historique d'un pluralisme politique, Paris, 1976 (édité en livre de poche en 1995).
C'est le livre idéal pour t'informer à ce propos.
@ Roumi: Je savais très bien que je te rendais la tâche bien trop difficle en donnant des indices si vagues mais tu m'as déja beaucoup aidé. Le titre du livre parait très intéréssant... Je vais essayer de l'avoir sous la main.
Encore merci
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