C'est un article que j'adore, une sorte de bible dans ma vie. Comment aurais je pu passer à côté et ne pas me plier au désir de le publier...
Il parait que les gens qui ont des problèmes de constipation sont souvent ceux qui parlent beaucoup d’argent. Le premier objet de transaction entre les hommes, bien avant l’argent, c’est le caca ; c’est le cadeau. C’est aussi bien ce que la mère attend de son enfant que ce que l’enfant exhibe fièrement à son entourage, ou alors retient par plaisir sadique, pour « emmerder le monde ». L’enfant considère la matière fécale à la fois comme sa propriété et une partie intégrante de son corps. On résume cela par le « stade sadique-anal », vers l’age de 3 ans. L’enfant est alors mégalomane, refuse toute loi, agit plutôt qu’il ne pense. Il ne se représente pas autrui, il est égoïste. Or justement, beaucoup de d’adultes responsables (cadres, patrons…) sont restés scotchés à ce stade. Leur modèle est un enfant de 3 ans qui ne veut pas qu’on l’emmerde. Il faut que la société réponde « aux besoins des l’entreprises ». Les entreprises doivent pouvoir gérer librement, sans aucune contrainte de l’état, ses « ressources humaines » et matérielles. L’actionnaire qui multiplie les conseils d’administration, c’est comme l’enfant qui fait des pâtés. Le goût de l’accumulation vient de là.
L’actionnaire qui cumule les « jetons de présence » multiplie ses participations. A quoi cela renvoie t-il métaphoriquement, sinon au caca ? Il y a toujours une équivalence inconsciente, entre le plus sale et le plus propre. La ménagère qui nettoie plusieurs fois son intérieur entretient un rapport fasciné à la crasse. On appelle cela une « formation réactionnelle » : J’élimine paradoxalement ce qui m’attire. De la même façon comme des gamins qui se mettent à collectionner lorsqu’ils deviennent propres, les grands enfants de l’entreprise se mettent à parler argent, à cumuler les parts de marché, le tout dans une ambiance aseptisée. Parler d’argent, ou en faire, c’est avoir les mains propres. Mais un « plan social » malgré l’euphémisme hygiénique, c’est expulser des gens comme des merdes. C’est du sadisme froid.
Malgré cela tout le monde semble s’accommoder de ce mode de fonctionnement « anal-libéral » parce que personne n’a le choix ! L’économie fonctionne selon une logique très ancienne, féodale. D’un côté il y a l’espace public, relativement démocratique, et de l’autre la société civile, avec des entreprises qui sont souvent des zones de non-droit soumises au bon vouloir du propriétaire. Tout comme au moyen age !
Les valeurs viriles y sont très flattées. Une sorte d’homosexualité sublimée où il est bon de « faire chier », « d’en baver », de « foutre la pression »… Symboliquement bien sûr, c’est le père qui rêve d’enculer son fils. Dans l’imaginaire entrepreneurial nous sommes souvent des fils socialement masochistes, et des pères sadiques. Le modèle hiérarchique patrons/employés reste calqué sur le modèle archaïque père/fils. Dans le mythe, fondement même de notre culture et de nos croyances, le dieu tout puissant tripotait le côté d’Adam pour engendrer Eve. Il rêver d’enfanter sans recours à la mère, d’où l’homosexualité.
Mais difficile il est, en réalité, d’échapper au fait d’être traités comme des bêtes, sauf par couper court par des lois, des attitudes, aux désirs de tout puissance de ces bébés névrosés libéraux.
Malheureusement, ce n’est qu’à la sortie, lorsqu’elle se retrouve transformée en étron, que la ressource humaine prend vraiment conscience de la logique du transit.
A lire : « Le complexe d’Ubu (ou la névrose libérale) » de Jean-Claude Liaudet aux éditions Fayard.
Texte adapté d’un entretien paru dans : « Technikart »-Mai 2004